seul peut-être l'Artiste perçoit et exprime cette dualité et en fait le fondement nécessaire de toute sa création. Peu importent alors les modes et la reconnaissance posthume. En me réveillant, la radio m'apprend que la sublime sonate Arpeggione de Schubert n'a été éditée que 50 ans après la mort obscure et solitaire du compositeur ! C'est aussi ce que j'ai éprouvé dimanche après-midi à la vision du film complexe et suffocant de beauté The Tree of life (de Terrence Malick). C'est encore ce que Flaubert nous rappelle :

« A-t-on compté tout ce qu'il faut de bassesses contemplées pour constituer une grandeur d'âme ! Tout ce qu'il faut avoir avalé de miasmes écœurants, subi de chagrins, enduré de supplices pour écrire une bonne page ? Nous sommes cela, nous autres, des vidangeurs, des jardiniers. Nous tirons des putréfactions de l'humanité, des délectations pour elle-même. Nous faisons pousser des bonnettes de fleurs sur des misères étalées. Le fait se distille dans la forme et monte en haut comme un pur encens de l'Esprit vers l'Eternel, l'immuable, l'absolu, l'idéal. »

Gustave Flaubert, Lettre à Louise Collet du 23 décembre 1853, Œuvres complètes, Gallimard, La Pléiade.