Notre passé est une tragédie, notre présent est un calvaire, mais heureusement, nous n'avons pas d'avenir.
Dicton palestinien
LA COMPLAINTE DE GAZA
D |
ans les ruines de Gaza
mon cœur est éventré
ma jeunesse écrabouillée
tout espoir lézardé
sur les murs de Gaza
Dans les ruines de Gaza
des veuves aux yeux mouillés
toutes en rides et ravines
gémissent des Inch Allah
une armée d’amputés
des nuées d’orphelins
de beaux vieillards hagards mais dignes
et tant de fiers héros tirés comme des lapereaux
pour avoir défendu les tunnels de Gaza
Dans les ruines de Gaza
trop jeune pour combattre ou pour déguerpir
mes projets un à un s’écroulent
mes nerfs sous haute tension sont nuit et jour dénudés
mon amour de la vie a vraiment dépéri
sous les ruines de Gaza
Dans les ruines de Gaza
seuls les écrans plats
entre deux matchs de foot
ou de sirupeuses séries
font miroiter la Suède et le Canada
aussi la France
eldorados sans Tsahal ni checkpoints
peut-être la bague d’une riche et compatissante étrangère
pour fuir les ruines de Gaza
Dans les ruines de Gaza
je sue l’ennui
je tue le temps
je veux vieillir en accéléré pour survivre moins mal
et avec Omar et Mahjoub
on rigole on bricole on rêve
on suppute nos chances
on met des shekels de côté
mais mon cœur est un no man’s land
car mon jasmin a flétri
dans les ruines de Gaza
Pourtant au milieu des ruines de Gaza
j'ai vu ce matin deux enfants rire aux éclats
dans une auto-tamponneuse bleue
qui les secouait en faisant tutut et pouêt-pouêt
oui j’ai vu cette antiquité
venue d’on se sait où
cette épave ahurissante
peut-être tombée d'un ciel criblé d’étoiles
j’ai vu cette bagnole marrante
secouée de tutut de pouêt-pouêt et du fou-rire de deux gosses heureux
là
à Chadjaiya
dans une ruelle épargnée
de notre belle Palestine assassinée !
Alors je ne sais pas pourquoi
qu’est-ce qui m’a pris
quel khamsin d’ironie m’a emporté
m’a dévasté
et aussitôt réconforté
quand à mon tour je me suis marré
de joie ou de nervosité
marré
marré
marré
à en crever
et j’ai hurlé
en admirant nos chères ruines de Gaza
torse bombé plomb durci
et montrant le poing à leurs chars
soudain je dégoupille mon cri :
"Allah Akbar !"