L’une après l’autre, les idoles catholiques tombent. Quasiment à 100%, des hommes. Pas des obscurs ni des sans grades, quasiment des Saints. Jean Vannier (fondateur de L’Arche), Marcial Maciel (fondateur des Légionnaires du Christ), Georges Finet (co-fondateur des Foyers de charité) etc. et, le dernier en date, Henri Grouès, dit l’Abbé Pierre, créateur d’Emmaüs.
À chaque fois, une fois révélé le crime [tous sont accusés de violences sexuelles], l’institution s’est montrée secrète, tortueuse et cauteleuse, choisissant l’inefficace sanction de l’éloignement des brebis galeuses. Certes, la hiérarchie catholique a parfois parlé, par la voix du pape François, relayée par tel ou tel évêque. C’est bien, c’est bienfaisant. Libérée, la parole circule. À quand des actes ?
Oui, que va-t-il se passer maintenant ? Surtout après la désacralisation de l’Homme au béret, déjà érigé en mythe vivant par Barthes en ses Mythologies. Les responsables vont-ils enfin s’interroger sur l’ambiguïté du sacerdoce ? Sur l’assouplissement de la tardive règle d’airain du célibat ? Sur l’ouverture de la prêtrise aux femmes ? Voire la réintégration des postulants gays actuellement interdits de séminaire ! Et comment associer les laïcs à cette mise à plat ? Par quelle (neuve) instance ? Des Etats Généraux sur le sacerdoce ? Un nouveau concile œcuménique ?... Il s’agirait d’élaborer une autre règle pour les prêtres, basée sur une anthropologie plus saine et une plus grande fidélité exégétique.
Pour maints croyants, qui le ressentent dans leurs tripes sans avoir les catégories ni les mots pour le conceptualiser, leur Eglise est malade de ses prêtres. Si les pédophiles restent minoritaires, les autres – de plus en plus âgés, solitaires, surmenés parfois jusqu’au burn-out voire au suicide – apparaissent dans leur ensemble, surtout en Occident, fort à l’étroit dans leur peau et dans leur âme. Sans même évoquer la double vie de maints abbés africains ou le sort peu enviable de centaines d’enfants de prêtres acculés à la clandestinité pour être de vrais faux orphelins. Pourquoi le nier ? Pourquoi ne pas aller à la racine profonde, dévitalisée voire gangrenée, même si le célibat n’est pas la cause n°1 de la crise des vocations, pas plus que le mariage en serait le remède miracle.
Un diagnostic clair s’impose : en catholicisme macère, sinon une impuissance congénitale, du moins une lenteur séculaire à se réformer pour rester fidèle ; à s’humaniser pour faire corps avec l’Amour fait homme. Mais une institution bloquée génère ses propres débordements. Un système ecclésiastique autoritaire qui, comme au bon vieux temps (préfreudien), persiste à confisquer, dévaluer et cadenasser la sexualité de ses membres, les condamnant au joug sabbatique de la Loi du célibat — convention collective au demeurant bien pratique pour les employeurs mitrés ! — ne peut qu’exposer, prédisposer, conditionner, mettre en danger les plus vulnérables d’entre eux, les plus fragiles, les plus immatures, les plus dangereux pour autrui. Dans le même temps où le célibat (libre) conserve évidemment ses lettres de noblesse, par idéalisme, par sclérose, peut-être par une sorte de fétichisme, l’Institution catholique apparaît névrogène. En cela, elle est non seulement responsable, mais coupable. Comme le titre un remarquable documentaire toujours disponible sur Arte.tv : « Célibat des prêtres. Le calvaire de l’Eglise ». Mais un chemin de croix qui ne débouche pas sur une aube radieuse n’est que dolorisme et sadomasochisme !
Il faut donc opérer d’urgence. Vient une heure où prendre le pouls ne suffit plus ; il faut trancher. En 2024, le sacerdoce ne peut plus être assimilé à une nasse cléricale, même sacralisée, même sans cesse ravaudée. Plutôt à un espace de libre adhésion personnelle et de responsabilisation collective. En cela, le nouveau presbytérat sera non seulement novateur, mais approfondi et conforme aux origines. Et, de thérapeutiques, sa reformulation, sa refondation pourraient devenir prophétiques.
Le magistère doit donc dire quel mode d’existence et quel statut social conviennent le mieux aux clercs, non plus médiévaux, mais contemporains. Or, une fois admis que le service particulier du sacerdoce est de rendre visible le Christ, seul grand prêtre, Rome est maîtresse de tout le reste ! C’est plutôt libérateur, non ? Durant sa longue histoire, l’Eglise a eu la capacité de se réformer, au fil de nombreuses et décisives assemblées, depuis le premier concile à Jérusalem jusqu’à Vatican II… jusqu’au novateur synode allemand que le Vatican actuellement redoute et a tendance à court-circuiter. Pourtant, « crise » signifie non seulement danger mais aussi opportunité. Donc, non seulement déplorer mais réformer. Pour des ministères inédits, quitte à faire sauter certains verrous rouillés : « Tout ce que vous délierez sur la terre sera délié… On ne met pas du vin jeune dans de vieilles outres. » (Evangile selon Matthieu 18, 18 et 9,17).
Sinon, j’ai bien peur qu’une fois l’émotion retombée, le scandale oublié, les monuments débaptisés, tout continuera comme avant, alors que les déviances risquent de se prolonger en interne, sournoises, tacites, avec un excès de précautions dans les manœuvres séductrices voire une épidémie de suspicion généralisée vis-à-vis des prêtres rescapés, puisque le diagnostic n’aura pas été posé ni le mal, traité à la racine. Or, à la racine, il y a ce double vice structurel : la minorisation des femmes et la suspicion face à la sexualité humaine (hors procréation, s’entend.) Nietzsche l’avait déjà fort bien synthétisé : « Le christianisme a donné du poison à boire à Eros. Il n’en est pas mort mais a dégénéré en vice. » Ce vice multiforme qui finit par apparaître au grand jour sous de coruscantes auréoles et sous les Œuvres les plus respectables — et qui restent de toute façon inestimables.
Michel Bellin, écrivain et ex-prêtre.
Cet article a été inséré, en amont de ce post, dans le quotidien LE MONDE, sous un autre titre choisi par la Rédaction, le samedi 14 septembre 2024.
https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/09/13/michel-bellin-ancien-pretre-apres-la-desacralisation-de-l-homme-au-beret-l-abbe-pierre-que-va-t-il-se-passer_6315525_3232.html