Bien sûr, maints artistes contemporains ne tombent pas dans ces travers même si, généralement, à mon avis, les chanteurs français chantent trop fort. Bref, je m’en tiens à mon choix : je préfère les voix naturelles, non outrées, et, de toute façon, l’Opéra reste un art bourgeois auquel on adhère ou non. En tout cas, je persiste et signe, à mes risques et périls : cette école romantique du Bel canto ne représente pas l’acmé de l’Art vocal ni une étape définitive de son développement. Ceci dit, à chacun ses goûts… et ses dadas !
Membre du choeur VOX VESUNNA du Périgord, je ne résiste pas à donner à lire cet extrait que j’ai déniché sur la Toile, poussant le vice délicieux jusqu’à le recopier mot à mot, à cause du maudit PDF :
(…) « Il semble que l’on devrait, dans les établissements dits lyriques, avoir des chanteurs pour des opéras ; mais c’est justement le contraire qui a lieu : on y a des opéras pour les chanteurs. Un malheureux compositeur qui s’aviserait d’écrire une gamme en ut [do], dans l’échelle moyenne et dans un mouvement lent, et sans accompagnement, ne serait pas assuré de trouver des chanteurs pour bien la rendre « sans changements ». Le ténor veut des i à tout bout de champ, le baryton veut des a. Un chanteur ou une cantatrice capable de chanter 16 mesures seulement de bonne musique, avec une voix naturelle, bien posée, sympathique et de les chanter sans efforts, sans écarteler la phrase, sans exagérer jusqu’à la charge des accents, sans platitude, sans affèterie, sans mièvrerie, sans liaisons dangereuses, sans hiatus, sans insolente modification du texte, sans transposer, sans hoquets, sans ridicules ornements, sans nauséabondes appogiatures, de manière enfin que la période écrite par le compositeur devienne compréhensible, est un OISEAU RARE, très rare, excessivement rare. Et sa rareté deviendra bien plus grande encore si les aberrations du goût du public continuent à se manifester.
La prima donna, la diva pour ne pas la nommer, possède-t-elle une étendue de voix exceptionnelle, quand elle donne à propos ou non un sol ou un fa grave, il est plus semblable au râle d’un malade qu’à un son musical, ou bien un fa aigu aussi agréable que le cri d’un petit chien dont on écrase la patte !Mais cela suffit pour que la salle explose d’acclamations ! Un homme a-t-il une voix forte ? Le voici qui pousse un son avec violence et tous applaudissent violemment la sonorité d’une telle note. (…) Mais rien ne choque plus le Ténor : tout va bien pourvu que la musique favorise l’émission de sa note favorite. Il n’écoute rien ; il lui faut des vociférations en style de tambour-major. Il exige de folles vocalises mêlées d’accents de menace, de fureur, de gaîté, de tendresse, de notes basses, de sons aigus, de gazouillements de colibri, de cris de pintade, de fusées, d’arpèges, de trilles… Du coup, il n’y a plus de mélodie, plus d’expression, plus de bon sens, plus de musique : il y a émission de voix, et c’est là l’important ; voilà la grande affaire : le Ténor va au théâtre courre comme le public, comme on va au bois courre le cerf ! Allons donc ! Donnons de la voix : tayaut ! Tayaut ! Faisons curée de l’Art ! »
Extraits du « Journal des débats » du 2 juin 1856. « Les mauvais chanteurs, les bons chanteurs, le public, les claqueurs. » Repris dans Berlioz, À travers chants (1862)