En fait, ‘Ieschoua était un Pur, un tantinet névrosé mais génial (ne disait-il pas que Dieu était son papa ?), un idéaliste sublime qui ne voulait qu’une chose : faire le bien, semer la justice, supprimer la souffrance. Que l’Humanité enfin s’élève et fraternise ! Qu’advienne enfin le Royaume de Dieu. Que chaque individu soit enfin respecté et heureux… et que les riches et les puissants soient abaissés et mordent la poussière.
(…) Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres,
annoncer aux captifs leur libération,
et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue,
remettre en liberté les opprimés,
annoncer une année favorable accordée par le Seigneur.
Jésus referma le livre, le rendit au servant et s’assit.
Tous, dans la synagogue, avaient les yeux fixés sur lui.
Alors il se mit à leur dire :
« Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture
que vous venez d’entendre. »
Mais l’Ecriture ne s’est pas réalisée. Pas plus en l’an 33 de notre ère qu’en 2025 avec Gaza, l’Ukraine, Trump II, tant de guerres, tant de massacres, tant de famines, tant de gosses martyrisés, tant de femmes tabassées et violées, etc. Autant de preuves sanglantes et révoltantes que la Résurrection n’a pas eu lieu. Que l’Histoire dite Sainte se termine bel et bien, non pas à l’aube radieuse du dimanche, mais dans la soirée du Vendredi Noir. Malgré la bonne foi des disciples désespérés et l’audace d’un Saül de Tarse qui transforma une secte déboussolée en christianisme glorieux puis impérial au IVe sicle de notre ère dite judéo-chrétienne ! C’est ainsi que rien, rien n’a changé sous le soleil de Satan : le cadavre de ‘Ieschoua se transforma en Jésus-Christ Pantocrator. Le Vatican remplaça Jérusalem. Le Pape prit la place du pécheur du lac. Le christianisme soutint la main des conquistadors, des soudards, des esclavagistes, des massacreurs de sorcières et de pédés, et aussi des violeurs d’enfants enjuponnés… Et la jolie planète bleue continua… continue joyeusement de partir à la dérive… Misère, misère, continuerait de chanter Coluche.
Aujourd’hui, comme chaque vendredi saint, j’écouterai Bach, bien sûr, et sa Passion selon St Matthieu ; plutôt celle de saint Jean, que je connais moins. Et, en me réveillant ce matin du 18 avril 2025, j’ai relu le poème qui va suivre, écrit il y a quelques années. Rien à redire, rien à changer. Le résumé d’un échec personnel. Pas le mien – du moins, pas totalement – le sien. Ces impropères ont été écrits durant l’après-midi du Vendredi Saint, 24 mars 2016. C’est à cette date que j’avais situé le sacrifice de mon héros contemporain in « L’Evangile selon Samir » (Epilogue “Sortie de crise par le haut et par un cri public”). Le triptyque RABBOUNI le plus proche de mon cœur, car il en va de la Foi comme de l’Amour : la fidélité est ce qui en reste... quand on l'a perdu(e).
REPROCHES À MON PEUPLE
J’étais l’hôte attendu, et plus encore l’Ami
Je me suis attablé avec toi en famille
J’ai insufflé la vie à ta petite fille
J’ai fractionné ton pain et tiré l’eau du puits.
Populus meus, quid feci tibi ?
Pourquoi m’as-tu éconduit ?
Responde mihi !
J’apportais un trésor – la Joyeuse Nouvelle –
À la table riante où les mômes se pressent
Mais tu as souffleté leur bruyante allégresse
Et je m’en suis retourné, seul, par les ruelles.
Populus meus, quid feci tibi ?
Pourquoi n’as-tu rien compris ?
Responde mihi !
La moisson blanchissait : je cours à ta rencontre,
Je te prends par la main, je te parle du monde
En voulant t’associer à mon œuvre féconde
Semée au cœur du Père : toi, tu votes contre !
Populus meus, quid feci tibi ?
Pourquoi un tel mépris ?
Responde mihi !
J’ai voulu réunir les frères ennemis
Et rendre un peu de paix à ce vieux monde usé
J’ai lutté, j’ai prié… L’Alliance s’est brisée :
Contre moi j’ai trouvé nombre de mes amis.
Populus meus, quid feci tibi ?
Pourquoi m’as-tu trahi ?
Responde mihi !
Je venais moissonner le grain de la récolte
Presser la grappe mûre et vous régler vos gages
Je souhaitais vendanger avec vous les cépages.
Envieux, tu me guettais et ce fut la révolte !
Populus meus, quid feci tibi ?
Pourquoi un tel défi ?
Responde mihi !
Je m’étais fait petit pour gagner tes demeures
Je voulais te parler, partager mon avis
Pour savoir chaque instant du drame de ta vie ;
Réviser tous nos plans pour un monde meilleur.
Populus meus, quid feci tibi ?
Pourquoi un tel déni ?
Responde mihi !
Des banlieues j’ai gagné les mornes ateliers
Où je savais trouver mes frères au travail.
J’y ai trimé longtemps ; j’ai respecté mon bail.
Mais on m’a regardé comme un meneur damné !
Populus meus, quid feci tibi ?
Pourquoi m’avoir licencié sans préavis ?
Responde mihi !
À toi j’offrais l’aurore et tu hèles la nuit
J’éclairais ta lanterne et tu souffles la mèche
Je voulais dans la guerre entrouvrir une brèche
Mais tu l’as colmatée pour nourrir ton ennui.
Populus meus, quid feci tibi ?
Pourquoi me désigner comme ton ennemi ?
Responde mihi !
Ne sachant plus que dire et ne sachant quoi faire,
Dévoré par la soif, je t’ai crié « Sitio ! «
Toi, tu as ricané puis, en hurlant « Haro ! »,
Tu m’as offert du fiel, seul cadeau de ta terre !
Populus meus, quid feci tibi ?
Pourquoi une si atroce agonie ?
Responde mihi !
Les profondes angoisses de ma mère inquiète
Que, par ton réconfort, j’espérais soulager,
Tu les as ignorées… La voilà outragée !
Écrasée à mes pieds par des affres muettes.
Populus meus, quid feci tibi ?
Pourquoi ne l’avoir pas épaulée, en ami ?
Responde mihi !
Ni ma voix qui te presse ni mon cœur qui t’aime
Ne peuvent plus combler tes stériles attentes…
Il ne me reste plus qu’à édifier ma tente
En haut du Golgotha – ma donation suprême.
Populus meus, quid feci tibi ?
Ô mon Peuple chéri, accepteras-tu du moins ma nuit ?
Responde mihi !

Poème de M. Bellin. Publié dans « ACCORDAILLES, poèmes et prières », Les Editions chapitre.com, 2017.