Journal de Michel Bellin

Découverte sur le Net au milieu d'une nuit de tourments, cette phrase m'a réchauffé et illuminé. Car j'en suis de plus en plus convaincu : seules pourront me (nous) sauver la beauté et la bonté.

MES BIEN CHERS FILS

C'est pour Nous une félicité, que dis-je, une félicité, une Grâce, de Nous adresser à vous aujourd'hui, en ce temps béni des JMJ où toute la jeunesse du monde va célébrer Jésus-Christ dans la ferveur et la réconciliation. Certes, notre rencontre avec votre délégation, bien chers fils homosexuels, est inhabituelle et c'est pourquoi Nous avons tenu à la tenir secrète, non pas dans le cadre de l'Eucharistie solennelle du 21 août prochain, ni même dans le chemin de Croix du 21, pourtant si emblématique du sort douloureux qui est le vôtre et auquel Nous compatissons in Christo, mais dans l'intimité de notre suite pontificale madrilène, afin que nul ici ne soit scandalisé. Car malheur à celui qui scandalise un seul de ces petits !

Hier soir, après avoir bricolé une prise Péritel sur le vieux poste de télévision (décroissance oblige !), nous avons enfin pu visionner Océans, le documentaire de Jacques Perrin et Jacques Cluzaud. Si l'image n'était pas merveilleuse, trop pâle et évidemment riquiqui, le son par contre, grâce au branchement sur la chaîne hi-fi, était large, profond et puissant. Parfois, alors que l'Ami dévorait des yeux les dauphins facétieux ou les énormes et souples baleines, moi, j'étais tenté de fermer les miens : dans la pénombre, je percevais la houle, le mugissement des flots, les creux tumultueux des vagues et je comprenais mieux ma terreur de la mer et mon inappétence pour la navigation même dite « de plaisance ». Retour au film et confirmation de ce que promet le texte de présentation : regarder Océans, c'est devenir poisson parmi les poissons, accompagner les dauphins dans leurs folles cavalcades, filer à dix nœuds au cœur d'un banc de thons, nager avec le grand requin blanc épaule contre nageoire, tomber nez à nez avec d'effroyables petits monstres qui grouillent sur le fond des mers, souvent aussi poétiques pourtant que des papillons ou des oiseaux-lyre grâce à leurs incroyables attributs de séduction et de chasse. Et quel appétit ! Brrrrr ! Heureusement, face à l'écran hypnotiseur, nous sommes confortablement installés dans nos fauteuils et, ce matin je peux prolonger au sec les incroyables sensations de la veille en lisant le chef-d'œuvre de Bernard Moitessier « Ramata et l'Alliance ». Sur le Marie-Thérèse, c'est l'euphorie de la totale Liberté qui éloigne des îles rassurantes autant que du passé mortifère. Çà au moins, je peux le comprendre et le partager avec l'Ami amoureux de la mer.

- Quand… comment…
- Tu parles en dormant maintenant !
- Quand surgira-t-elle ? De quelle manière ?
- Mais de quoi parles-tu à la fin ?

On le sait, il n'y eut pas plus gourmande que l'écrivaine Colette. Dans la Pousaye de son enfance, elle fut initiée très tôt par sa mère, Sido, aux vertus de la tartine de pain « exhaussée d'un doigt de haricots jours », arrosée de nobles crus à l'odeur de rose. Petite « reine de la terre », elle rapportait, de ses longues journées de vagabondage dans la campagne, menthe des marais, champignons des bois et fruits sauvages par poignées. Sa vocation était née : gourmande de mots goûteux et de saveurs cuisinées, ces « miraculeuses saveurs de la France, vivace personnalité du fruit, de la race, et du paysage ; qu'il fait bon vous êtres fidèles par les meilleurs de nos sens et par un attachement plus pudique et plus fort ! » (Colette, A portée de la main, 1949).

La même semaine, passer de Dubrovsky à Céline, c'est un peu gonflé, non ? Ils cohabitent pourtant dans ma besace et occupent mes fréquents trajets en métro ou en RER. (Avec ces questions qui me brûlent les lèvres : que pense Serge de Louis-Ferdinand ? Le lit-il ? Le supporte-t-il ?) Quant à moi, depuis Le voyage jusqu'à Mort à crédit, j'ai tellement été terrassé par le plaisir et dévasté par le rire ! Et il me reste les six autres romans à dévorer, plus la correspondance, plus les pamphlets si je parviens à me les procurer. Bref, j'en redemande.

Quand on tient un blog, le plus régulièrement possible, chaque jour apporte son lot d'émotions, joie ou chagrin, abattement ou éblouissement, sensualité torride (hier !) et tendresse paisible (aujourd'hui). Sans que je me fasse de souci exagéré en me demandant : que vais-je mettre en ligne aujourd'hui ? Car c'est la vie qui commande, hic et nunc, « le vierge, le vivace et le bel aujourd'hui » comme chante Mallarmé.