En fait, je voulais tout simplement envoyer un message d’amour à mon grand chéri. Donc, je commence à pianoter, immédiatement inspiré : « Carissimo, mon doux baby boy… » Surprise ! « Carissimo » et « baby boy » sont illico supprimés. Je récidive. Second signal sonore tandis qu’un message s’affiche : “This message is impossible to drive and it is illicit.” Contrarié, je trouve une périphrase qui passe le barrage du logiciel mais est nettement moins expressive. Ouf ! Un peu plus loin, dès que ma tendresse devient plus connotée, disons moins romantique et davantage incarnée (normal, aimant ou non, le Sexe est une urgence sans raison n’est-ce pas ?), bref, la même mésaventure se reproduit pour « pédé », « couilles », « teub », etc. “This message is impossible to drive and it is illicit.” Je reviens illico à des propos plus banaux et, me souvenant de Proust, à la fin du 1er tome de sa saga si barbante et si surfaite, je tape : « Te souviens-tu de Max, mon bel handicapé, qui n’était pas du tout mon genre et qui pourtant… » Aussitôt Script GPT efface les mots handicapé et genre. J’insiste. Toujours le même verdict : “This message is impossible to drive and it is illicit.” Quant à mon sésame amoureux qui devait conclure mon courriel – trois sublimes petits mots –, ils subissent le même sort, aussitôt scalpés, et, comme j’ai eu l’imprudence de recommencer trois fois ma manœuvre, je suis sur-le-champ déconnecté ! Ecran noir. Bite larmoyante et mes deux mains suspendues au-dessus du clavier, pétrifiées, inertes, stoppées net dans leur élan créatif. Dans la foulée, ayant commis l’imprudence de jeter sans ménagement ma tablette sur la couette, aussitôt un tsunami se déclenche sans crier gare, comme si Zeus en personne, ou Allah, qui sait ? avait été outragé par ce geste de lèse-technicité !
Aussitôt ma domotique devient complètement folle (alarme stridulante, store bloqué, néons zigzagants, etc.). Je panique, cours ici et là, terrorisé. Courage, fuyons ! Et c’est ainsi que, d’une manière quasiment instinctive, comme mon ancêtre du Périgord se terrait jadis en sa caverne protectrice, c’est donc ainsi que je me suis retrouvé, frissonnant et apeuré, blotti dans le cagibi exigu et sans électricité qui jouxte ma kitchenette. C’est ici , demi-nu, dans la pénombre et une exigüité rassurante, dans cet antre providentiel car non connecté, ici, loin de toute technologie américaine, aliénante autant qu’assourdissante, hors fonctions Voice Focus, Automatic Framing, Snap Layouts, App Control, et évidemment Script GPT et j’en passe et des pires… bref, à la lumière vacillante de ma bougie de Noël, du moins ce qui en restait, et muni de mon seul opinel – tandis que je taillais (à défaut de pipe) ma toute première plume d’oie, désormais élue, comme jadis le silex salvateur, pour en faire mon providentiel et écologique calame – je ne cessais de répéter à mi-voix, ravi, extasié, enfin désaliéné :
« Oh ! mon beau couillu, je t’aime… je t’aime… je t’aime… je t’aime… je t’aime… »
Fantaisie écrite à l’heure de la sieste, le jeudi 17 avril 2025.