ujourd’hui, toujours le dimanche, souvent en milieu de matinée, alors que “là-bas” il n’y a plus qu’une seule messe (faute de pratiquants), étant par ailleurs toujours père heureux et grand-père comblé, eh bien ! j’honore le 8e Jour par mon rendez-vous galant : le Ciel sur la terre ! Je ne me vante pas ; seulement «factuel », comme dit mon amant, sérieux comme un pape. C’est pas bien ? C’est bien ? « C’est ». Toujours ma façon, à 77 ans, d’acquiescer au réel et de dire oui à la Vie. Et oui au Sexe.
Autrefois, avant la grand messe, il y avait une forte agitation en sacristie. Il fallait avoir l’œil à tout : vérifier la sonorisation, passer en revue la tenue des enfants de chœur, m’assurer que les ciboires étaient remplis, trouver deux ou trois lecteurs, distribuer les partitions à ma chorale, surveiller la combustion du charbon qui se transformerait en fumée odorante, jeter un dernier coup d’œil à mon sermon, etc. Et surtout que le maître-autel soit flamboyant ordonné, paré pour la très sainte Transsubstantiation. Bref, autrefois, tout devait être soigneusement préparé car le Sacré ne supporte ni les imperfections ni les approximations.
Quelque cinquante années plus tard, toujours en milieu de matinée et quasiment chaque dimanche, c’est un tout autre rituel que je dois préparer. Car le rituel d’orgasmothérapie, à l’instar aussi de la célébration japonaise du thé, ne souffre pas l’amateurisme ni l’à peu près. Donc, une bonne heure avant l’arrivée de mon amant, j’ai l’œil à tout, et pas seulement l’œil, tous mes sens sont aux aguets pour planter le décor voluptueux : monter les rhéoastats jusqu’à la bonne température, activer le brûleur d’huiles essentielles aphrodisiaques, vérifier la fluidité de ma composition de miel et de sirop d’érable, disposer la panoplie complète d’accessoires et autres jouets érotiques, placer à portée de mains serviettes tiédies et sopalin le plus doux, brancher les lumières clignotantes, préchauffer la salle de bain et y disposer gant et serviettes, changer drap et taies d’oreiller au préalable soigneusement repassées, préparer la musique d’ambiance (plusieurs programmes, depuis le jazz jusqu’à la musique de relaxation voire l’Alleluia de Haendel pour fêter l’extase finale, aussi jouissive qu’explosive). Et je ne dis rien de ma toilette intime : douche, rasage en haut et en bas, déodorant et eau de toilette — toujours la même depuis trente ans, celle qu’il préfère.
En principe, nous sommes tombés d’accord sur le scénario prévu, tout comme pour l’office, les lectures sont présélectionnées, dans un ordre très strict. Mais, à l’inverse de la liturgie, l’improvisation au dernier moment nous est toujours permise. Car ce n’est pas l'Ordo Missae qui planifie, le Dogme qui exige, pas même la Tradition qui ronronne, pour nous deux, ce sont nos corps qui pilotent, nos sexes qui commandent, nos cœurs qui donnent le ton. Tout ne doit être que jeu et extase, toujours en forme de dialogue : que souhaites-tu ? Te fais-je mal ? Jouera-t-on notre chère séquence fantasmatique dite du Pénitent ? Etc. Et de même que l’épître de St Paul (moins drôle que l’épaule de Saint Pitre !) annonce impérativement l’évangile lu par le seul célébrant, notre (homo)érotisme le plus charnel, le plus débridé, le plus scabreux annonce le moment de tendresse et de confidences, lorsque les corps sont épuisés et les sexes repus. C’est en quelque sorte notre action de grâces apaisée.
Eucharistie ou Sexe, dans les deux cas, il y a bien une forme de Sacré. D’ailleurs, dans nos rituels — je, jeux et enjeu — le Sacré peut même être détourné voire perverti. D’où un plaisir supplémentaire ! Par exemple, cette exigence de blancheur, comme j’expliquais avant-hier à M* pas très connaisseur en théologie : « N’oublie pas, bébé, que les anges sont toujours vêtus de blanc. C’est leur emblème. Pour toi, mon bel ange infernal, c’est pareil. Et c’est pourquoi je tiens tant à ce que tu freines ton élan pour te dévêtir illico presto en négligeant de mettre d’abord la tenue requise pour l’invité au Banquet : ton boxer immaculé Tencel en soie végétale. » En résumé, pour le Sexe, comme pour Dieu, toujours la majuscule. Notre Liturgie sacrée a donc ses codes, ses invitations, ses manducations… et ses interdits. Certes, la tendresse virile (père-fils) en découle...mais dans un deuxième temps...presque conclusion obligée. Cette tendre complicité est aussi avant, devant, j'en conviens... Elle sous-tend nos ébats. Tout comme la foi imprègne le rituel catholique. Mais toujours le Sexe en majesté (nos triques) et en effusion (nos semences). Tels deux Christ Pantocrator inondés d’onction baptismale et du saint-chrême royal. Ainsi, au moment où carillonnent à deux pas les cloches de la cathédrale Saint Front, c’est l’heure de notre concélébration. Ceci est mon corps donné pour vous. Prenez et mangez. Prenez et aimez.
Et tandis que mon chéri est limé jusqu’au tréfonds, les voies du Seigneur, elles, restent impénétrables… et tout finit alors par un grand éclat de rires et d’action de grâces.
DIEU EST GRAND ! ALLELUIA ! AMEN !
Ecrit à Périgueux, ce 24 novembre 2011, après son départ, en ce jour de la solennité du Christ-Roi de l’Univers.